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Usbat al-Ansar al-Islamiya. De la radicalisation à une dé-radicalisation inachevée

Posted By Comitato di Redazione On 1 maggio 2021 @ 02:03 In Politica,Religioni | No Comments

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Libano (da Journal Saida online)

di Marie Kortam [*]

Plusieurs mouvements et groupes islamistes jihadistes ou armés ont donné des signes d’importants changements, tout au long de l’histoire sur le plan du comportement, de l’organisation et de l’idéologie en faveur de la non-violence [1]. Les processus de déradicalisation ou de modération de ces mouvements ont conduit au retrait de dizaines de jihadistes des rangs des supporteurs et ont eu un effet dissuasif sur ceux qui ont songé à les joindre.

Ce papier tente d’étudier le groupe de la ligue des Partisans islamique, Usbat al-Ansar al-Islamiya (UAA) au camp de Ein El-Helwe (EEH) pour les réfugiés palestiniens au sud du Liban. En considérant ce groupe comme un cas socio-politique, ce papier cherche à expliquer le changement en son sein pour une réelle déradicalisation. Le choix de cette organisation est basé sur la dualité entre le nationalisme palestinien et le salafisme jihadiste global, profondément incarné dans la doctrine de sbat al-Ansar al-Islamiya trente ans après sa naissance.

Dans une analyse micro, cette étude se distingue de la majorité des études sur les mouvements et les courants islamiques, souvent liées dans leur émergence et leur développement à des facteurs géopolitiques. Rares sont les études sociologiques qui étudient ces mouvements de l’intérieur et le contexte social et politique local qui les accompagne et les influence. Tel est le but de cette étude : comprendre la propagation du salafisme-jihadiste dans la société palestinienne dans une analyse sociologique de ce groupe. D’où l’importance d’expliquer l’histoire du salafisme libanais et palestinien en particulier, puis le salafisme-jihadiste et la situation socio-économique et politique du camp de EEH.

Dans son livre Saoud Al-Mawla (2016) a étudié dans un processus prudent avec un positionnement théorique et historique la présence salafiste libanaise dans le contexte du salafisme arabe traditionnel (en particulier le wahhabisme et syrien). Plus particulièrement, ses écoles et ses courants, et le démantèlement du lien ambigu avec les courants jihadistes salafistes émergents et actifs depuis le 11 septembre 2001. Il écrit que le salafisme est apparu comme un mouvement de réforme, non seulement en Arabie Saoudite par Cheikh Mohamad Ben Abdel Wahab, mais aussi en Égypte par Cheikh Muhammad Abdo. Selon lui, le salafisme a commencé comme réformiste parce qu’il faisait face à une réalité religieuse ancrée dans l’extrémisme dans certaines directions. L’auteur convient avec Abd al-Rahman al-Hajj (2014) qu’il existe un ensemble de caractéristiques qui caractérisent le discours salafiste, comme la «sélectivité». Ce qui veut dire mettre l’accent sur une partie de la religion pour dépasser et couvrir le reste.

Cependant, le discours salafiste changeant et instable est passé par trois phases. Premièrement, la phase d’établissement, où les motivations politiques et sociales se mélangent pour motiver les fondateurs du discours salafiste, comme un discours réformiste radical de protestation. Deuxièmement, la phase de stabilité, après sa fondation, le discours salafiste se transforme en un héritage intellectuel. Il a construit ses symboles et références «scientifiques» (surtout le Cheikh Nasir al-Din al-Albani). Des convictions plus réalistes sont générées parmi les porteurs de ce discours. Enfin, l’étape de la suppression des contextes, le discours salafiste se transforme progressivement en un discours purement religieux. Il cherche à préserver la légitimité des groupes qui en bénéficient et y croient, et devient un discours scolastique traditionnel (El Hajj, 2014).

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Les deux auteurs mettent l’accent sur le contexte social en tant que principal générateur du salafisme et non sur le contexte religieux ou politique. La religion est appelée comme langage pour l’exprimer, tout comme la politique est appelée à se transformer en position publique. C’est par le mélange des trois contextes (religieux, social et politique) que le salafisme se transforme en idéologie (al-Mawla, 2016).

Le salafisme au Liban

Au Liban, la propagation du salafisme a commencé dans la ville de Tripoli. En Syrie, l’activité des mouvements islamiques a été une activité de premier plan. Le recours à des personnalités politiques telles que Mustafa al-Sebaei et d’autres a affecté la propagation du mouvement Dawa d’abord à Tripoli puis dans tout le Liban. Selon al-Mawla (2016), le mouvement salafiste a été fondé au Liban en 1946 par Cheikh Salem al-Shahal, qui a fait son propre auto-apprentissage. Mais ses disciples ont été grandement influencés par les livres traditionnels salafistes saoudiens, de par leur bourse pour des études universitaires à l’Université de Médine ou ailleurs. De retour au Liban, ils ont fondé leur association. Les besoins de ces dernières ont été couverts par les cercles financiers gouvernementaux, ainsi que les milieux privés. Ils se sont concentrés d’abord à Tripoli, puis se sont répandus dans toutes les régions sunnites. Il y avait une course saoudienne et koweïtienne pour acquérir certains groupes, ce qui leur a donné des couleurs différentes. Ces différences ont augmenté au milieu des soulèvements arabes contre le salafisme et le recul de l’élan du salafisme fondamentaliste traditionnel en faveur des mouvements salafistes. Cela a été évident dans de nombreux pays arabes (al-Mawla, 2016).

Au Liban, et au rythme du soulèvement syrien en 2011, des changements se sont produits dans ce sens, notamment dans les villes de Tripoli et de Saïda (avec le phénomène de Cheikh Ahmed Al-Asir). Comme le décrit al-Mawla (2016), le salafisme est aujourd’hui un phénomène sociologique, psychologique et politique qui a la capacité de se polariser et de se mobiliser dans des conditions de division sectaire de la société. Il s’adresse au grand public, des gens simples, pas qu’à des élites. Il dit, ces mouvements, du nouveau salafisme, ont propagé: «une religiosité radicale adoptée par un mouvement social qui rejette les institutions existantes (sociales et politiques) et porte une tendance conservatrice au maximum porté sous forme de protestation contre les développements de la religion face à l’autre: d’où l’importance de la conscience de soi … dans la formation et la poursuite du mouvement sur la base de sa transformation en une identité, qui possède un système de sens spécial tel qu’incarné dans les vastes systèmes de codage» (al-Mawla, 2016: 402).

Le salafisme est apparu à Saïda à la fin des années 80 par un petit nombre d’individus. Mais il s’est rapidement répandu avec le début des années 90 grâce à des œuvres caritatives et de plaidoyer, menées par certains membres du salafisme, venus de Beyrouth et du nord, comme Abdul Hadi Wahbi, l’avocat de l’Islam al-Shahhal. Parmi les manifestations de la diffusion de cette pensée à Saïda, il y a la présence de certaines associations orientées salafistes (al-Mawla, 2016). La nouvelle et dernière tendance est représentée par le cheikh Ahmed Al-Assir, l’imam de la mosquée Bilal ben Rabah, et son ami, le célèbre artiste pop Fadl Shaker, avec une aide financière de personnalités qataries non officielles.

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Libano, militanti palestinesi (da Journal Saida online)

Les paradoxes du jihadisme salafiste libanais

L’un des paradoxes du jihadisme salafiste libanais est qu’il est né au sein de deux expériences non salafistes : la révolution palestinienne d’une part, et la révolution iranienne d’autre part. L’évolution du mouvement salafiste jihadiste ne peut être comprise sans revenir à la lecture de l’expérience du mouvement d’Unification islamique (al-Tawhid) à Tripoli d’une part, et de l’expérience du groupe d’Usbat al-Ansar al-Islamiyya à EEH, d’autre part.

Au nord et à Tripoli, une minorité est passée du jihadisme national au jihadisme salafiste en commençant par son association fondatrice al-Tawhid avec le Fatah et le conflit avec la Syrie (Kortam, 2016). Dans le sud et à Saïda, cette minorité, représentée essentiellement par Usbat al-Ansar al-Islamiyya est passée du jihadisme national au jihadisme salafiste avec la révolution khomeyniste et le Hezbollah à travers la résistance contre l’occupation israélienne. Jusqu’à la mise en place des liens avec Al-Qaïda, sur la base de deux événements historiques : le retour des Arabes afghans à partir de 1991, puis le jihad en Irak à partir de 2003. Le salafisme jihadiste a prospéré et s’est développé entre ces deux dates par un affluent externe fourni par les expatriés dans les pays européens et américains.

C’est dans ce cadre du salafisme jihadiste que ce papier s’intéresse à Usbat al-Ansar al-Islamiyya. Il explore les différentes phases de cette organisation allant de la violence à la non-violence. La première partie évoque la naissance de l’organisation puis sa transformation en une petite congrégation religieuse au milieu des années 80. Ensuite, son évolution vers un mouvement jihadiste bien organisé au début des années 1990, en tenant compte du paradoxe salafiste-jihadiste libanais expliqué plus-haut. Dans cette partie, je démontre le changement avec un passage à la violence et la volonté de s’affirmer comme une autorité politique locale. Cette dernière est ancrée dans la direction palestinienne au Liban, et transnationale avec son affiliation à al-Qaïda. La deuxième partie s’attarde au processus de déradicalisation à la fois sur le plan de préparation de dialogues avec les autorités libanaises et de naissance de groupes dissidents de jihadistes enragés.

Le raisonnement de cette recherche est fondé sur une recherche qualitative basée sur des archives, des entretiens, réalisés avec des cadres de cette organisation, des anciens militants, des jeunes sympathisants. En plus d’une immersion auprès de ce groupe et dans le camp pendant des années. L’analyse de contenu est également utilisée pour examiner la littérature de base ainsi que les entretiens et les archives pour légitimer, et plus tard, pour délégitimer la violence.

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Radicalisation et déradicalisation

Le terme de «radicalisation», qui découle du domaine de la psychologie sociale, est devenu largement utilisé ces dernières années. Selon Della Porta et Lafree (2012), dans les années 70, le terme «radicalisation» a émergé pour souligner la dynamique interactive (mouvement social/État) et processuelle (escalade progressive) dans la formation de groupes violents, souvent clandestins. Dans cette approche, la radicalisation se référait à l’utilisation réelle de la violence, avec une escalade en matière de formes et d’intensité. En somme, la radicalisation est considérée comme un processus d’escalade menant à la violence. Donc, la déradicalisation serait automatiquement le processus de désescalade de sortie de la violence.

Cependant, le terme de «radicalisation» est généralement utilisé dans le contexte de trajectoires individuelles (par opposition à des trajectoires collectives), et la plupart des auteurs semblent également l’associer principalement à un changement cognitif – plutôt que comportemental (Bartlett et Miller 2012, 2). Ashour (2009) définit la radicalisation comme «a process of relative change in which a group undergoes ideological and/or behavioural transformations that lead to the rejection of democratic principles (including the peaceful alternation of power and the legitimacy of ideological and political pluralism) and possibly to the utilisation of violence, or to an increase in the levels of violence, to achieve political goals» (Ashour 2009). Il situe la déradicalisation comme un processus de changement relatif qui se produit au niveau collectif des mouvements islamistes (Ashour 2009). Bien que, les notions de «désengagement» et «déradicalisation» soient différemment interprétées, selon Della Porta et Lafree (2012, 7), «plus que la radicalisation, le concept de déradicalisation souffre d’un manque de précision concernant les processus réels impliqués». Selon Dudouet (2015), la plupart des spécialistes du mouvement social et du terrorisme établissent une distinction entre les processus de désengagement et de déradicalisation. Le premier fait référence à un changement de comportement par lequel une personne cesse sa participation à des activités violentes, tandis que le second dénote un désengagement social, psychologique ou idéologique de l’extrémisme et de la violence (Horgan 2009).

Plus récemment, Dudouet et al. (2019), en se basant sur les travaux de Ashour (2009) et Matesan (2016) présente dans leur rapport, sur le dialogue avec les groupes armés salafistes-jihadistes, un modèle analytique dynamique «la dé-escalade», afin d’identifier les mécanismes de changement de la violence. La dé-escalade est décrit

«comme un processus qui peut être poursuivi : sur le plan organisationnel, par une réduction ou une perte de la capacité institutionnelle de coordonner des opérations violentes (“démobilisation”) ; sur le plan idéologique, par une modération du langage et une justification morale de la violence (“déradicalisation”) ; et enfin sur le plan comportemental, par une diminution ou une cessation totale de la violence (“démilitarisation”)» (Dudouet et al. 2019: 15).

Sur la base de ses recherches doctorales, la chercheuse américaine Emy Matesan (2016) a présenté une matrice utile pour étudier l’évolution des mouvements armés islamistes. Ce modèle présente huit étapes de (dé) escalade basées sur les trois dimensions de l’idéologie, du comportement et de la capacité organisationnelle, en distinguant si à un moment donné (1) un groupe recourt à des attaques violentes (2) les dirigeants du groupe offrent une justification idéologique à la violence et/ou appelle à la lutte armée, et (3) le groupe maintient une aile militaire ou des stocks militaires. Cronin (2011), de son côté, propose une typologie de dé-escalade de groupe. Selon elle, le déclin et la disparition des groupes armés non étatiques, passe par six trajectoires alternatives : la décapitation (par la capture ou le meurtre du leadership), le succès (atteindre l’objectif), l’échec (implosion, contrecoup ou marginalisation), la répression (par le recours à la force), la négociation (transition vers un processus politique légitime) et enfin une réorientation vers d’autres formes de violence (criminalité, insurrection, grande guerre).

Quant à Ashour (2009), dans son étude de la déradicalisation des mouvements islamistes, distingue quatre variables, qui interagissent dans le processus de déradicalisation afin de modifier les perspectives d’un mouvement islamiste de façon à l’amener à renoncer à la violence tant dans son comportement que dans son idéologie. Ces variables sont: le leadership charismatique, la répression de l’État, l’interaction avec l’«autre» à l’extérieur ainsi qu’au sein de l’organisation et les incitations sélectives de l’État et d’autres acteurs. Ces quatre éléments sont des facteurs nécessaires de déradicalisation. La combinaison de ces facteurs affecte les idées et le comportement des dirigeants d’une organisation radicale et les conduit à initier trois processus endogènes: calculs stratégiques, apprentissage politique et révision (s) (Ashour, 2009). Le premier processus est basé sur des calculs de choix rationnel et des analyses coûts-avantages. Le deuxième processus est un produit de socialisation et d’interaction avec «l’autre». Le leadership mettra à jour ses croyances et réévaluera son comportement en raison du comportement de son ou ses partenaires d’interaction. Le troisième processus est principalement basé sur des facteurs de perception et psychologiques. Il s’agit d’un processus dans lequel la direction d’un mouvement islamiste armé modifie ses visions du monde «à la suite de crises graves, de frustration et de changements dramatiques de l’environnement» (Bermeo in Ashour 2009). À la suite de ces processus, la direction lance un processus de déradicalisation qui est soutenu par des incitations sélectives de l’État ainsi que par des interactions internes (conférences, discussions, réunions entre la direction, les commandants de rang intermédiaire et la base) afin de les convaincre des mérites de la déradicalisation.

Ashour (2009) distingue trois formes de déradicalisation:

1-la déradicalisation globale se réfère à un processus de déradicalisation réussi aux trois niveaux (idéologique, comportemental et organisationnel).

2-La déradicalisation substantielle implique un processus réussi de déradicalisation aux niveaux idéologique et comportemental, mais pas sur le plan organisationnel (généralement un échec à ce plan est suivi de scissions, de factionnalisation et de conflits organisationnels internes et/ou de la marginalisation de leadership déradicalisé).

3- la déradicalisation pragmatique qui fait référence à un processus de dé-radicalisation comportementale et organisationnelle réussi, mais sans délégitimation idéologique de la violence.

9780415588348Dans cette perspective de la sortie de violence, cette étude analyse la déradicalisation de UAA à EEH au Liban, la dé-escalade de la violence, et la façon dont ses militants islamistes ont révisé leurs idéologies, leurs stratégies et leurs objectifs et entrepris un processus de déradicalisation. Cette recherche vise à analyser le processus de radicalisation-déradicalisation de l’organisation afin de comprendre la réalité du changement chez ces militants, le processus et les conditions de déradicalisation de ce groupe sur le plan organisationnel, idéologique et comportemental, en incluant les quatre variables de Ashour et leurs trois processus endogènes.

Phase 1: la radicalisation violente et le passage à l’acte

Cette partie décrit les trois phases qui ont composé l’organisation armée radicale de UAA depuis sa naissance jusqu’au début de sa déradicalisation. Après un aperçu de la naissance de l’organisation d’UAA, je mettrai l’accent sur le dynamisme de l’environnement politique qui a aidé à un processus de radicalisation violente en mobilisant la théorie des mouvements sociaux (Tilly 2003, Tarrow 1996, McAdam et al. 2001). Il va sans dire que tout au long de ce processus l’identité politique se mêle à l’identité culturelle et religieuse.

Cheikh Hisham, la trajectoire et la socialisation islamiste

Hisham Shraydi, combattant du Front populaire de la libération de la Palestine FPLP, occupa de petits travaux en tant que boucher et petit commerçant. Famille originaire du village de Safsaf dans le nord de la Galilée, elle atterrit au camp de EEH dans le sud du Liban. Culturellement musulmans, les pratiquants palestiniens faisaient surtout le jeun et la prière.

Très jeune, il est connu par sa force et son courage, comme un «quabaday» (héros). Avec l’invasion israélienne au Liban, en 1982, Hisham Shraydi résista pendant 15 jours à l’entrée israélienne dans le camp avec une quinzaine de jeunes Palestiniens. Cette résistance lui donna de crédit à son engagement islamique plus tard. En 1982, il est capturé suite à la chute du camp entre les mains de l’armée israélienne. Emprisonné à la prison Ansar du sud Liban occupe par Israël, il fera la connaissance de Ibrahim Ghoneim, Hussein Abu al-Heijah, cheikh Moharam al-Arefi. Abu al-Heijah est partisan de Hizb al-Tahrir, le parti de la libération, un Palestinien de Jordanie, poursuivi par le gouvernement jordanien, il fuit vers le Liban ou il est capturé par les Israéliens. Al-Arefi est l’un des cadres du Groupe Islamique, al-Jama’a al-Islamiya, la branche libanaise des frères musulmans, connu pour son hostilité envers les sionistes et son idéologie jihadiste. Avec ces trois formateurs, le processus de l’islamisation de, désormais, cheikh Hisham Shraydi commença. Il est éduqué à la jurisprudence, à la doctrine et au jihad en prison. Il passa deux ans en prison et sortit en 1984 dans un échange de prisonniers. À peine libre, il obtint une fatwa de ses mentors pour l’autodéfense contre l’agresseur et participa au combat à l’Est de Saïda en 1985, où il combattit seul aux côtés des guérilleros palestiniens contre la milice chrétienne des forces libanaises. Ce combat déclenche des constructions identitaires politiques antagonistes entre musulmans et maronites. Ce qui explique la radicalisation violente comme une réaction à l’influence croissante des cultures occidentales et autres cultures non islamiques dans les sociétés à prédominance musulmane.

À l’automne 1985, officiellement cheikh, Hisham Shraydi commença à rassembler un petit groupe d’adeptes autour de lui et entama le processus de passage de Fida’I (combattant) à Cheikh. Dans la tradition tribale de la société du camp, les premiers à se rassembler autour de lui furent de son village de Safsaf, et donc habitant le même quartier. Quelques mois plus tard, en 1986, suite à la guerre des camps entre le mouvement libanais pro-syrien, Amal, contre la guérilla palestinienne, cheikh Hisham dirigea un groupe de militants palestiniens qui ont mené des raids visant à briser le siège que le mouvement Amal avait imposé au camp voisin de Miyye & Miyye.

Habitant le quartier de Safsaf au camp de EEH, c’est à la mosquée des Martyrs de Safsaf que le jeune de 28 ans commença à faire des sermons et à se rencontrer avec ses adeptes. En raison de son charisme et de sa réputation de combattant palestinien, qui remonte bien à l’ère « préislamique » (al-jahilliya) [2], Shraydi a rapidement gagné un public populaire en tant que personnalité religieuse malgré des autorités religieuses établies à EEH et Saïda, qui désapprouvèrent son manque d’éducation religieuse formelle en tant qu’homme religieux.

Estimant que la défaite contre Israël en 1982 fut la manière de Dieu de punir les Palestiniens pour avoir abandonné leur religion, Shraydi et ses partisans essayèrent activement et souvent physiquement de remodeler la société du camp conformément à leur interprétation des sources islamiques. Ses partisans, ressemblants à un gang de quartiers, harcelèrent les habitants du camp portant des t-shirts de style occidental ou ayant des coupes de cheveux modernes, et ciblèrent les vendeurs d’alcool avec des bombes artisanales, mettant ainsi fin à la vente d’alcool dans le camp une fois pour toutes. Sa principale cible fut les dirigeants du Fatah, responsable selon lui de la défaite contre les sionistes en 1982, en raison de leur rejet de l’islam. Jusqu’ici ce gang n’a pas encore un nom officiel.

D’un gang à une organisation islamiste radicale violente

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Libano (da Journal Saida online)

Le cheikh Hisham Shraydi au nom de l’idéologie combattante islamiste sauve la population du camp de leur propre dépravation et de l’obscurité du péché. Cette «réalité amère» est attribuée au fait que les musulmans ont laissé les idées du nationalisme ainsi que du «communisme et de la laïcité» s’infiltrer dans leurs esprits, infestant ainsi leurs terres et affaiblissant leur aqida, idéologie (Abd al-Ghani, 2006).

En 1987 fut la déclaration officielle de l’organisation armée sous le nom de Usbat al-Ansar al-Islamiyya, la Ligue des partisans islamiques. Le nom Usbat, groupe ou bande en français, qui veut dire en arabe deux personnes et plus est basé sur le hadith «Il ne cessera d’y avoir un groupe de ma Umma qui sera sur la vérité, se montrant ouvertement, ceux qui les délaisseront ne pouvant pas les nuire, jusqu’à ce que la décision de Dieu arrive» (at-Tirmidhî 2229, Abû Dâoûd 4252, relaté par Thawbân). «Où se trouve ce groupe? demanda-t-on au Prophète. Il répondit: «À Jérusalem (“Bayt ul-maqdis”) et aux alentours de Jérusalem». Alors que le nom Ansar vient des alliés ou partisans de Dieu de Sourat assaf, verset 14: «Ô vous qui croyez (les amenus)! Soyez les alliés d’Allah! Jésus fils de Marie a dit aux apôtres: ‹Qui sont mes alliés, qui veulent parvenir à Allah?› – Les apôtres disent: ‹Nous sommes les alliés d’Allah›. Un groupe des Enfants d’Israël ayant cru, tandis qu’un groupe mécrut. Nous aidons donc ceux qui croyaient contre leurs ennemis, et ils triomphèrent».

L’idée du groupe est de ne pas établir, mais de restaurer le califat islamique détruit par Atatürk en 1924, par premièrement, l’éducation religieuse, deuxièmement, l’interaction avec la Umma c’est-à-dire la lutte politique: résoudre les problèmes, soigner une personne malade, la fusion avec la société et finalement se battre pour Dieu. Le but est de gouverner par la charia. Le slogan d’UAA est: «Jérusalem fut ouverte par Omar Bin al-Khattab et libérée par Salah al-Din, qui a-t-elle aujourd’hui ?». La seule solution viable pour mettre fin à toutes les souffrances est décrite dans la stratégie du groupe en cinq étapes: 1- al- da’wa, le prosélytisme envers Dieu l’exalté, 2- commander le bien et interdire le mal, 3- préparer et mener le jihad sur le chemin de Dieu, 4- travailler pour récupérer les demeures de l’islam et récupérer son autorité usurpée, et 5- enfin, nommer un calife qui gouvernera selon ce que Dieu a révélé (Abd al-Ghani 2006).

Le groupe est soutenu financièrement et instrumentalisé par les réseaux pro-iraniens, comme le cheikh Maher Hammoud, le Président de l’Union des Oulémas musulmans et les milices palestiniennes soutenues par la Syrie [3] (Rougier 2004). Ces milices, comme le Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP) – commandant général, a vu en cheikh Hisham un pion utile pour saper l’influence d’Arafat. Le leader du FPLP – commandant général Ahmad Jibril le rencontra à plusieurs reprises dans les tunnels de la ville de Naemeh [4], au nord de la ville de Saïda. Ce soutien financier des factions palestiniennes pro-syriennes revient au conflit historique entre les défunts Président Syrien Hafez al-Assad et le Président Palestinien Yasser Arafat, en finançant d’autres groupes qui pourraient faire face à Fatah (Rougier 2004). Par ailleurs le Fatah finança aussi ce groupe pour le contrôler [5]. De même, le Groupe Islamiste, al-Jamaa al-Islamiyya, et d’autres individus proches idéologiquement de UAA les ont soutenus financièrement. Enfin, il y a la Zakat, taxe religieuse des habitants, payée de manière irrégulière et celle des membres du groupe pour l’Émir qui veille à leur protection, selon le hadith «Et s’il te frappe le dos et prend ton argent, écoute et obéis». Le groupe, de plus en plus fort, à la fin des années 90, s’autofinança par un commerce d’armes élaboré à EEH, attirant des clients de partout [6].

61kiypvmo7lL’organisation dans les alliances politico-militaires

À la fin 1989, Arafat se rangea du côté du mouvement Amal contre le Hezbollah dans une série d’affrontements dans la région d’Iqlim al-Tuffah, à côté de Saïda. Jamal Sleiman un officier de Fatah désobéit aux ordres et prit position avec le Hezbollah. Fidèle à sa haine du Fatah, Shraydi s’associa au commandant renégat du Fatah Jamal Sleiman qui a fait alliance avec le Hezbollah. La milice de Jamal Sleiman a vu le jour ensuite sous le nom de Ansar Allah, les Partisans de Dieu, soutenu par le Hezbollah dans le but de purger Saïda de la présence militaire de l’OLP (Rougier 2004). En effet, certains centres de pouvoir en Iran n’ont pas hésité à créer des alliés à eux dans les camps palestiniens en plus du Hezbollah [7].

Cependant, Sleiman et Shraydi furent contraints de fuir EEH après une tentative infructueuse d’éviction du Fatah du camp à l’été 1990, qui a fait 21 morts et 60 blessés. Les proches de Shraydi à l’époque parlent dans l’entretien de l’exode Hijra, durant l’entretien, en faisant référence au prophète qui va de la Mecque à Médine. Le conflit entre le Fatah et UAA commença. Le Fatah chargea Amin Kayed de combattre Shraydi tous deux originaires du village de Safsaf et habitant le même quartier. Shraydi annonça son retour au camp quelques mois plus tard, à un moment où l’accord de Damas semble avoir apaisé une partie de la tension entre les milices opposées dans le sud du Liban. Les familles du quartier Safsaf sont maintenant divisées entre les alliés de Shraydi et les alliés deAmin Kayed. À la suite d’une série d’assassinats au coup par coup, Shraydi fut assassiné en décembre 1991 à 34 ans.

Phase 2: Une nouvelle vague d’influence salafiste jihadiste

Avec l’assassinat de cheikh Hisham, les autres factions et le Fatah ont parié sur la fin de l’organisation radicale, tellement ancrée dans la personnalité de Shraydi. C’est ainsi que commença la deuxième période de la vie de l’organisation avec l’apparition du bras droit de Shraydi, le jeune Palestinien Ahmad Abd al-Karim al-Sa’adi, 29 ans, mieux connue sous le nom d’Abou Muhjin. Il prit la direction du groupe de la Ligue des partisans islamiques. Il donna au groupe une dimension extraterritoriale qui dépasse les frontières du camp et noua des relations avec d’autres groupes jihadistes.

Abou Muhjin, au contraire de cheikh Hisham, fit très attention à sa sécurité personnelle, selon un ancien militant, donc les tentatives de son assassinat ont tous échoués. Avec lui, le groupe a élargi son territoire, en plus de Safsaf, des adeptes ont intégré le groupe principalement du quartier de Taïtaba, d’où il est originaire, et du quartier d’al-Zib, où il habite, dans le sud du camp.

Avec l’esprit d’Abou Muhjin, le nombre d’adeptes n’a pas arrêté d’augmenter, des jeunes lésés, laissés à eux-mêmes, ont suivi les formations politiques, religieuses, plus tard militaire du groupe et se sont transformés en forcenés. La militarisation de l’organisation s’est accrue avec lui. L’organisation est depuis étendue aux quartiers Ta’mir, Tawari et Ras al-Ahmar du camp, en plus des quartiers susmentionnés. Elle consolida sa fonction d’autorité gouvernementale dans son camp d’origine en chargeant des membres de rang intermédiaire d’administrer les affaires locales dans chacun des quartiers, rivalisant ainsi avec les comités de quartier redevables à l’OLP (Organisation de la Libération de la Palestine) et aux forces de la coalition.

Dans la forme, il n’y a pas grand-chose qui distingue le mouvement des autres milices palestiniennes qui gouvernent leurs rues respectives dans le camp. Ils sont devenus une faction, presque comme le Fatah. Le camp se divise depuis en zones militaires ou les groupes se disputent le territoire pour asseoir leur pouvoir politique et militaire. L’époque d’Abou Muhjin fut plus sanglante que son prédécesseur, ce fut une époque d’une guerre d’existence face à la présence syrienne et à l’OLP. Abou Muhjin arriva à contrôler tout le camp et à marginaliser le Fatah et les autres factions. Il intensifia non seulement la tentative de nettoyer le camp de tout ce qui n’était pas islamique, mais recadra également le militantisme du groupe dans un courant salafiste. À cette période, les salafistes libanais devinrent plus audacieux dans leurs critiques de la tutelle syrienne sur le Liban, arrivée à la fin de la guerre civile libanaise. Le pays fut témoin d’altercations publiques sévères entre les salafistes et les islamistes au sein de l’axe Damas/Téhéran (Hamzeh & Dekmejian 1996).

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da destra a sinistra, Abu Obaida l’attuale leader della lega, Abou Charif Akel il portavoce e leader delle comunicazioni della lega, Abou Tareq Al-Sadi, fratello di Abu Muhjin e uno dei leader, il generale maggiore Munir Al -Maqdah da Fatah (da Journal Saida online)

L’association soufie pro-syrien des projets caritatifs islamiques, communément appelée al-Ahbash [8], lança une campagne contre le salafisme qui, selon elle, est une tendance croissante des « extrémistes » s’infiltrant dans les mosquées du Liban (Pall, 2013). Alors qu’al-Ahbash lança des attaques verbales violentes contre l’institution sunnite libanaise, Dar al-Fatwa, et empêcha physiquement ses rivaux théologiques d’entrer dans les mosquées, les salafistes ripostèrent avec impatience – un processus qui leur a permis d’affirmer leur identité en tant que véritables gardiens de la Secte sunnite (Pall, 2013, Abd al-Ghani, 2006).

Suite à ce conflit, le chef d’al-Ahbash, Nizar al-Halabi fut abattu dans le quartier populaire sunnite de Tariq al-jdide à Beyrouth (Pall, 2013). Cinq jeunes hommes dont trois Libanais Khaled Hamed, Ahmad al-Kassam, Rabih Nabaa et deux Palestiniens Mounir Abboud, Wassim Abdel Mo’ti, revendiquèrent l’assassinat, se vantant de cet acte de défense courageux au nom des Sunnites du Liban. Après leur arrestation, ces hommes ont avoué avoir suivi une formation à EEH par une cellule de militants salafistes se faisant appeler Usbat al-Ansar (Rougier 2004) [9]. Abu Muhjin a aussi formé une cellule à Tripoli avec Saïd al-Chahal, Fouad Zeini et Ahmad al- Naboulsi qui échouèrent dans l’assassinat du Mufti de Tripoli Taha al-Sabonji et du Leader d’al-Ahbash à Tripoli Taha Naji.

La répression de l’État et la fin d’Abou Muhjin

Abou Muhjin sortit au grand jour et déclara les ambitions du groupe de se battre pour un califat mondial et de tourner «les polythéistes à l’unité de Dieu, et les infidèles à la foi des Musulmans», mais nia avoir quoi que ce soit à faire avec le cas al-Halabi (Sogge, 2018: 98). Les événements furent un cadeau pour les alliés de la Syrie au Liban, qui ont pu désormais discréditer leurs adversaires salafistes en les impliquant avec les fanatiques dans les camps palestiniens.

En janvier 1997, le conseil de justice libanais nomma un tribunal spécial pour saisir l’affaire, qui, selon des documents judiciaires, procéda à une mise en accusation rapide des accusés sans leur proposer d’avocat. La décision du tribunal termina par quatre condamnations à mort et quatorze autres condamnations (Sogge, 2018). Le tribunal décida également de déclarer UAA une organisation terroriste visant à inciter les Libanais «à prendre les armes les uns contre les autres et à les exhorter à tuer et à subversion en vue de créer un État islamique au Liban et dans la Grande Syrie» (Sogge, 2018: 99).

Après consultation au sein du groupe, Abou Muhjin prit la décision d’entrer dans la clandestinité et se cacha dans le camp, peu de temps après avoir reçu sa peine, pour ne plus être revu en public et éviter au camp le conflit armé. Sa peine de mort ne fut jamais exécutée. Depuis, l’encerclement et les check-points commencèrent à rentrer dans le paysage du camp. Le groupe est officiellement dirigé par Abou Obaida, mais réellement par le frère d’Abou Muhjin, Haytham al-Sa’di, mieux connu comme Abu Tariq.

Phase 3: la connexion avec al-Qaïda et l’Iraq

Cette période a fait progresser le groupe en dehors du camp, mais a limité son pouvoir à l’intérieur du camp. UAA fut porté sur la scène internationale par son alliance avec al-Qaïda et sa participation à la guerre de l’Iraq. Par ailleurs d’autres éléments ont fait rayonner le nom et tissé des liens avec d’autres réseaux de jihadistes. C’est de cette ouverture internationale qu’il est question dans cette troisième phase.

Mideast Syria Nusra FrontL’ouverture à al-Qaïda

La nouvelle étiquette du groupe terroriste le plus redouté du Liban n’est pas venue sans certains avantages. L’assassinat d’al-Halabi motiva Bassim al-Kanj, un vétéran de la guerre en Afghanistan dans les années 80 et un ami d’Oussama Ben Laden à les contacter. Al-Kanj un jihadiste expérimenté et bien connecté, vint des États-Unis au Liban à la fin des années 90 (Rougier 2004) et commença le processus de mise en place d’un vaste réseau de cellules jihadistes au Liban. Il passa son temps entre le nord, où il a mis en place un groupe armé à Sir al-Dinnye, et le camp de EEH (Rougier 2004).

Impressionné par la lutte d’UAA contre les Ahbash, il prit le mouvement relativement inexpérimenté sous ses ailes, et lui fournit de nouveaux équipements et un savoir-faire technologique lui permettant d’améliorer considérablement son infrastructure paramilitaire. En tant que vétéran du jihad mondial, il a également mis le groupe en contact avec un large réseau de contacts qui s’étendra bien au-delà du Liban (Rougier 2004).

Fin 1999, Damas mettra en garde le Liban contre la cellule militante de Bassim al-Kanj dans le nord du Liban (Gambill, 2000). Lorsque l’armée libanaise autour du réveillon du Nouvel An mena une offensive contre le «groupe Sir al-Dinnye», tuant al-Kanj, de nombreux membres restants de son groupe échappèrent, et trouvèrent refuge à EEH où ils restèrent en liberté (Abd al-Ghani, 2016).

Le groupe tissa des liens avec les congrégations salafistes et les réseaux jihadistes en Australie, avec le conseiller du gouvernement qatari, Abd al-Rahman Ben Umar al-Nu’aymi, qui en 2001 fut inculpé par les autorités américaines pour avoir donné des sommes substantielles au groupe. De plus, des liens avec d’autres congrégations islamistes en Europe, notamment au Danemark.

Apparemment, un affilié du mouvement basé au Danemark a rassemblé pendant des années des trouvailles dans des congrégations de la vaste diaspora européenne, virant l’argent sur des comptes bancaires secrets au Liban (Itani 2017, 267). Ces liens n’étaient probablement que la pointe de l’iceberg. En matière de financement local, un ancien membre du groupe a déclaré bien qu’Abou Muhjin a construit son organisation en attirant des sponsors désireux de financer une force de combat anti-syrien et anti-iranien, l’UAA ne leva pas ses armes contre ces deux parties. Au lieu de cela, grâce à un accord peu orthodoxe avec les autorités syriennes, les membres de l’UAA se rendent en Iraq pour rejoindre la lutte contre les forces de la coalition américaine.

Les portes de l’Iraq

Les autorités syriennes au Liban ont profité de l’émergence d’un militantisme islamiste dans les camps palestiniens. À la fois, en matière de bouc émissaire violent pour discréditer les mouvements salafistes libanais, et parce que ces acteurs ont également fourni un certain tampon contre une OLP forte.

Cependant, au début des années 2000, les réseaux croissants de hors-la-loi et de fugitifs jihadistes enfermés à EEH sont devenus un handicap [10]. En plus des survivants de réseau al-Kanj, il y a eu l’assassinat de quatre juges libanais par des assaillants inconnus dans un tribunal de Saïda, le 8 juin 1999. Ces deux incidents suscitent des inquiétudes à l’échelle nationale concernant les camps palestiniens devenus des «îles de sécurité» abritant de dangereux terroristes.

Alors que l’agitation montait à la fois à EEH et dans le nord du Liban, l’invasion américaine de l’Iraq en 2003 a commodément fourni aux autorités syriennes l’occasion de se débarrasser des pires fauteurs de troubles nationaux en leur offrant tacitement une route vers les champs de bataille iraquiens (al-Amin 2006). C’est un fait bien documenté que la Syrie, pendant la guerre en Iraq, est volontairement arrêtée en tant que plaque tournante pour les combattants de la région qui sont transportés en bus de l’aéroport international de Damas à la ville frontalière syrienne, al-Bukamal, avant leur sortie vers l’Iraq (Rabil 2006). Cette stratégie d’ouverture des frontières a permis à la Syrie, préoccupée par les perspectives d’une invasion américaine dans la région, de tirer parti de ses négociations avec les gouvernements occidentaux. En conséquence, des diplomates américains effectuèrent des visites continues à Damas, suppliant Bashar al-Assad de sceller la frontière iraquienne (Zisser 2003).

Quant au Liban, le recadrage par le groupe de sa mission dans un contexte mondial ne signifie pas qu’il a abandonné l’appel à la lutte armée contre l’occupation de la Palestine. Ce n’était pas non plus la preuve que les Palestiniens des camps du Liban abandonnaient leur identité nationale au profit du salafisme mondial. Pour beaucoup, la lutte en Iraq fut une question d’ordre pratique plutôt que de doctrine. Parce que le Hezbollah a instauré un monopole strict des combats le long de la frontière sud du Liban depuis 1987 (Khashan 2013), les guérilleros palestiniens ont été contraints d’affronter leurs ennemis ailleurs. En fin de compte, ces sentiments ne différaient pas beaucoup du message que Abou Muss’ab al-Zarqawi a transmis à ses électeurs en 2006, affirmant que « nous combattons en Iraq, mais nos yeux sont tournés vers Bayt al-Maqdes» (MEO 2006).

Cette politique n’a pratiquement pas mis fin à l’activité jihadiste, mais l’évaluateur a offert aux groupes amateurs locaux de nombreuses opportunités d’acquérir une expérience de combat et de se connecter à la branche iraquienne d’al-Qaïda, dirigée par Abou Mus’ab al-Zarqawi. Travaillant à partir de Herat en Afghanistan, al-Zarqawi était depuis 1999 en train de recruter des militants volontaires au Levant en vue de combattre l’influence occidentale et américaine dans la région. Suite aux attaques terroristes du 11 septembre, al-Zarqawi a beaucoup voyagé entre l’Iran, la Syrie, le Kurdistan iraquien et le Liban. Selon un responsable des renseignements jordaniens, al-Zarqawi a fait de EEH l’une de ses principales campagnes de recrutement (Weaver 2006). Le Liban fut témoin d’une vague de jeunes et d’amplis qui se sont révélés essentiels en termes de formation et de recrutement (Gambil 2003).

La liaison d’al-zarqawi basée en Syrie, fut avec Abu Ghaddiya (Badran Turki Hisham al-Mazidi) une personne clé sur le plan de financement des jihadistes du Liban. Il a formé, personnellement, les groupes de EEH sur la façon de forger des documents avant leur voyage (Itani 2017). Certains des combattants du mouvement aidèrent également al-Zarqawi à établir des camps d’entraînement en Iraq. Le groupe a finalement laissé dix «martyrs» qui se sont rendus au combat ou lors d’opérations suicides en Iraq sans pour autant les revendiquer à cause des pressions politiques palestiniennes. Les responsables des organisations militaires du camp de EEH ont soutenu qu’il n’y a eu aucune trace d’al-Qaïda et de ses origines et branche dans le camp. Même si des jeunes sont allés au «jihad» en Iraq, cela ne constitue pas, comme ils l’ont affirmé, la preuve de la présence d’al-Qaïda dans le camp. Des dizaines de résidents du camp d’UAA et d’autres organisations se sont rendus en Iraq. Beaucoup d’entre eux ont perpétré des attentats-suicides. Comme Saleh al-Shayeb, un Palestinien du camp, lorsque la nouvelle du l’attentat- suicide est arrivé, UAA a rapidement confirmé son affiliation, mais s’est ensuite rétracté et a retiré sa déclaration d’adoption, suite à des pressions exercées par les forces palestiniennes qui ne veulent pas annoncer l’existence d’un parti qui envoie ses militants du camp en Iraq (al-Amin 2006). L’implication du mouvement en Iraq a donné au mouvement une dimension extraterritorial et transnational, en affirmant son identité en tant que gardien des sunnites opprimés du monde, plutôt que de simplement constituer une milice urbaine confinée dans un camp de réfugiés.

Phase 4: La sortie de la violence et le début de changement

Cette partie aborde la transformation de UAA allant de la radicalisation violente à la déradicalisation.

1La phase transitoire : le nouvel Émir et le début de la déradicalisation

Le processus de déradicalisation de UAA commence avec son nouveau leader Abou Ubaida, Mahmoud Mostafa, désigné officiellement par le conseil. Réellement ce n’est qu’Abou Tariq qui contrôle les affaires en coordination totale avec son frère Abu Muhjin. L’UAA est apparue au début des années 2000 avec une direction légèrement plus pragmatique que ce qui était le cas avec les groupes jihadistes rivaux du camp. Bien que le mouvement soit toujours dirigé par Abou Tariq al-sa’di, les décisions du groupe sont désormais, de plus en plus, prises par son cousin, Abou Suleiman al-sa’di avec le cheikh et l’imam de la mosquée du Martyr, Abou Charif Aqel, agissant en tant que conseiller politique de l’UAA et porte-parole officiel.

Après la disparition du leader Abou Muhjin al-Sa’di, en 1997, l’État libanais intensifia sa répression exercée sur UAA. Cette répression poussa le nouveau leader à se rapprocher du Fatah. Cette ouverture déplut à la majorité des militants et poussa à un éclatement interne. Selon les anciens militants de UAA, crescendo, les ordres sont tombés de ne plus déranger et châtier ou corriger les individus selon leur coupe de cheveux ou leur discours qui blasphèment Dieu. Les jeunes n’ont plus aucun pouvoir de changer le monkar, l’interdit religieux, bien au contraire, ils se font eux-mêmes châtier s’ils exercent encore ce genre de corrections. Les adeptes commencent à ne plus comprendre ce changement et à exprimer leur désarroi et leur mécontentement envers ce nouveau pacte sans donner des explications.

En 2002, plusieurs controverses secouèrent l’UAA, et menèrent à un début de sortie de la violence de l’organisation. Ajoutons à cela la répression étatique, l’organisation a fait ses calculs stratégiques dans un nouvel apprentissage politique. Tout d’abord, en juillet 2002, le Libanais Badi’ Hamadeh est entré dans le camp de EEH après avoir tué trois soldats libanais. Une initiative est lancée par Cheikh Maher Hammoud et Rustom Ghazali, chef de l’armée syrienne au Liban, pour discuter du cas des personnes recherchées par l’État. Après d’intenses pressions exercées par l’armée libanaise, et après des semaines de courtage par des personnalités islamistes à l’intérieur et à l’extérieur du camp, le mouvement a décidé d’arrêter et de remettre Badi’ Hamada à l’armée libanaise le 16 juillet 2002. Ensuite, pendant ces années, le cercle de vengeance ne s’est pas arrêté entre le Fatah et UAA, jusqu’à la vengeance de UAA en 2001 de la mort de son leader Hisham Shraydi en assassinant Amin Kayed.

 La scission et l’éclatement

L’ouverture au Fatah, pris comme ennemi principal depuis des années pour son idéologie laïque, incita des membres de la ligue non satisfaits de ce nouvel accord avec un parti qui l’ont toujours combattu à accepter cette décision. De ce fait, des cadres de la ligue sont sortis en trois temps. Ziad al-Shahabi et son groupe qui créa l’« association de suppression de la corruption » Jam’iyat Qam’ al-fasad, qui n’a pas tardé à être dissous. Ensuite Abdallah Shraidi a fondé Usbat al-Nour. Le jeune Abdallah Shraydi – le fils de Hisham Shraydi – a fait défection en 2001 pour former un groupe rival, Usbat al-Nour emmenant avec lui ses propres membres du clan. Abdallah Shraydi fut accusé de complot pour venger le meurtre de son père. En mai 2003, après sa scission et en tant que chef de Usbat al-Nour, Abdallah Shraydi est assassiné avec son oncle Yahya Shraydi suite à un assassinat collectif effectué par le Fatah dans le camp.

En raison de ces événements sanglants, les affrontements les plus violents ont eu lieu le 19 mai 2003, après que le Fatah a refusé d’autoriser l’enterrement de Yahya Shraydi. UAA a lancé une attaque contre les bureaux du Fatah dans le camp et a occupé la plupart d’entre eux. Les combats ont pris fin après l’intervention d’al Haraka al-Islamiya al-Mujahida, le mouvement de Combattants Islamiques, en invitant à rencontrer à la mosquée al-Nour des représentants du mouvement UAA et du Fatah. Notons qu’en 2003, le Premier ministre de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas a décidé de lutter contre le terrorisme au camp de EEH, en signifiant UAA. Tous ces facteurs ont accéléré un processus de déradicalisation de UAA. La même année, les rencontres entre le Fatah et UAA ont commencé. Les deux parties ont acté l’interdiction de faire couler du sang palestinien, donc le conflit inter-palestinien. La présence du Hamas dans les camps a poussé le Fatah a trouvé des alliés islamiques afin de garder son pouvoir dans les camps. Ces rencontres ont emmené le groupe à faire une nouvelle lecture politique et ont joué un nouveau rôle. Le responsable du Fatah au Sud Liban, Khaled Aref, acteur principal de cet accord avec UAA me raconte qu’à la fin des années 90, il a emménagé de Saïda pour vivre dans le camp d’EEH afin de réduire les risques d’assassinat mené par le Fatah-al-Majlis al-Thawri, conseil révolutionnaire, proche de la Lybie, contre les cadres de Fatah. Il habita à la rue al-Zib au camp et devint voisin d’Abou Muhjin. Avec Abou Muhjin la violence du mouvement est destinée vers l’extérieur après avoir conquis le territoire du camp et imposé leurs règles. La co-habitation se passa relativement dans de bonnes conditions. Puis l’assassinat du leader d’al-Ahbash et des juges et l’annonce des sentences à l’encontre d’Abou Muhjin a augmenté la violence dans le camp.

Au cours de cette période, ces controverses ont entraîné de nouvelles dispositions de sécurité dans le camp. Afin de gérer les conflits internes, l’OLP et les forces de la coalition ont conclu des accords pour former un comité mixte de suivi. Dirigé par le leader de la faction al-Sa’iqa dans le sud du Liban, Abou Bassam al-Maqdah, ce comité fonctionne essentiellement comme un conseil de réconciliation pour résoudre les conflits internes. En raison de leurs actions résolues pendant l’affaire Badi’ Hamadeh, le groupe de Jamal Khattab et l’UAA furent invités à rejoindre ce comité, donnant ainsi à ces islamistes un sentiment de légitimité politique.

Néanmoins, en ce qui concerne les dissidents du clan Shraydi et les fugitifs de Sir al-Deniye, ces nouveaux arrangements ont simplement souligné que les forces islamiques et les UAA ne sont pas dignes de confiance. Le mouvement jihadiste de EEH s’est retrouvé dans un état de désarroi. Le 19 mai, le meurtre d’Abdallah Shraydi, le chef du groupe dérivé Usbat al-Nour, rappela durement que le Fatah est revenu en pleine force et que le camp n’est peut-être pas le refuge qu’il fut auparavant. Le fait qu’UAA soit désormais en communication avec les dirigeants palestiniens laïcs et ait même remis l’un des hors-la-loi les plus recherchés du camp, Badi’ Hamadeh, aux autorités libanaises est une source de grande préoccupation. Craignant un effort conjoint pour les évincer du camp, un groupe de jihadistes dissidents de UAA a organisé une réunion fin mai 2003, qui a finalement abouti à la formation du nouveau groupe extrémiste Jund al-Sham.

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Jund al-Sham leader Ghandi al-Sahmarani

Jund al-Sham

La création du groupe fut par essence une fusion de trois ensembles différents. Tout d’abord, il est composé de fugitifs qui ont fui le nord du Liban lors des affrontements de Sir al-Deniye. Parmi eux, un ressortissant libanais nommé Khalid Sahmarani, mieux connu sous le nom de « Ghandi » Sahmarani ou Abou Ramiz al-Tarabulsi, qui a assumé le rôle de chef militaire de Jund al-Sham. Deuxièmement, le groupe est composé d’alliés d’Abdallah Shraydi et d’Usbat al-Nour, tels que le Palestinien Usama al-Shahabi. Ils ont été rejoints par un second groupe de déserteurs d’UAA qui a suivi l’ancien chef militaire du groupe Imad Yassin lors de son départ en 2003, Shehada Jawhar, Abu Bakr Mubarak et Abu Muhammad Awad. Le dernier devient plus tard, le chef de Fatah al-Islam et est tué à la Beqaa à l’est du Liban.

Comptant une quarantaine de militants, Jund al-Sham fut un groupe beaucoup plus petit que UAA. Néanmoins, sa formation a suggéré que ce dernier n’exerce plus d’hégémonie dans le champ jihadiste à EEH. Bien que Jund al-Sham et UAA se sont appuyés sur les mêmes réseaux liés à al-Zarqawi pour recruter et s’entraîner pour le « Jihad iraquien », les groupes s’opposent dans leur opinion sur l’utilité de la force contre le pays hôte. Sur le plan financier, un ancien opérateur d’UAA, Bilal al-Arqoub, a fonctionné comme le lien clé du groupe avec al-Zarqawi et son agent de liaison basé en Syrie, Abu Ghadiya, acheminant de l’argent dans le camp via un compte bancaire enregistré sous le nom fictif de Mahmoud al-Sama » (Itani 2017: 267).

En 2004, une série d’affrontements violents, opposant les ailes militaires de l’OLP au nouveau mouvement de Jund al-Sham, a poussé ce dernier à se retirer dans ces quartiers de bidonvilles situés dans la périphérie nord du camp al-Ta’mir. Alors que de nouveaux dialogues entre l’OLP et les Forces islamiques ont mis la pression sur des groupes dérivés et des hors-la-loi enfermés dans le camp, al-Ta’mir est devenu un nouveau refuge sûr pour les réseaux jihadistes. Du fait que cette rue constitue une «zone grise», qui se situe entre contrôle libanais et palestinien. La presse relia al-Ta’mir à un certain nombre d’incidents violents et publia des informations selon lesquelles des combattants étrangers arrivent dans ces quartiers en provenance des champs de bataille d’Iraq (al-Amin 2006).

L’interaction avec les autres

En 2005, suite à l’assassinat du Premier Ministre Rafiq Hariri, la Syrie se trouve forcée de mettre fin à son déploiement au Liban. Les acteurs islamiques deviennent à la recherche de nouvelles alliances avec la nouvelle élite politique libanaise émergente. L’État libanais passa une période difficile et apprécia la position de UAA. Une nouvelle relation est ouverte entre l’État libanais et UAA, par le biais du Hamas d’un côté, et de Fatah de l’autre. Le parrain de cet accord avec l’État libanais fut le colonel Abbas Ibrahim, le chef du renseignement du sud, le directeur aujourd’hui de la sûreté générale. L’UAA se présente comme le parti unique capable de contrôler la jeunesse radicalisée jihadiste, elle adopte la position de neutralité et le rôle de médiateur. Ce rôle s’est accentué avec l’arrivée de Shaker al-Absi, leader de Fatah al-Islam à Naher al-Bared, au nord du Liban.

La décision adoptée par la ligue de ne pas entraîner le camp d’EEH dans le conflit de Nahr al-Bared avec l’armée libanaise fut appréciée de tous les partis politiques et sécuritaires libanais. Abbas Ibrahim entra dans le camp et rencontra UAA, à son tour la ligue s’est ouverte à Hezbollah, au parti Amal, au courant du futur, à Bahiya al-Hariri. Les cadres ont élargi leur relation, toujours dans un rôle de médiateur. Un rôle important pour ne pas s’engager dans la guerre en Syrie et les attentats au Liban.

En tant que députée élue du Mouvement de Futur depuis 1992, Bahiya al-Hariri, la sœur du Premier ministre, a fait carrière dans la négociation entre les camps de réfugiés et l’État, devenant un intendant de premier plan des affaires palestiniennes dans sa circonscription (Knudsen 2011 :101).

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Il Primo Ministro Rafiq Hariri assassinato

Au cours de l’été 2006, le Premier ministre Fouad Siniora a rencontré le représentant de l’OLP au Liban, Abbas Zaki, afin de discuter des relations futures du Liban avec les Palestiniens. Au cours de la réunion, les parties ont discuté de questions telles que la levée de l’embargo imposé par la Syrie sur les importations de matériaux de construction dans les camps de réfugiés du sud du pays, en plus du droit des réfugiés à l’héritage et à la propriété. En gage de confiance, Siniora a annoncé son intention d’entreprendre une toute première visite ministérielle dans le camp de EEH en juillet. Néanmoins, sa délégation a été forcée de reporter sa visite, lorsqu’une ambulance appartenant à la Fondation al-Hariri a été touchée par une bombe sur le bord de la route en passant devant le district de al-Ta’mir adjacent au camp.

Abou Tareq al-Sa’di [11] précise, durant l’entretien chez lui que UAA n’a changé que sous la condition de préserver le camp. Confiants d’avancer dans le bon chemin, les cadres ne se retournent pas en arrière, avec cette idée et cette vision, ils ont rencontré le colonel Abbas Ibrahim, selon Abou Tareq. Ce dernier a remis son rapport à Bahiya en mai 2008.

Chaque affrontement avec le Fatah mobilise toute la communauté politique à Saïda comme Bahiya Hariri et Ousama Sa’ad. Cette déradicalisation a ouvert le mouvement à des acteurs politiques libanais au fur at à mesure et à plusieurs partis qui jadis ont été des ennemies ou des adversaires, comme le Hezbollah. Cette relation est basée sur une conviction partagée par tous les acteurs politiques à Saïda pour préserver la sécurité et la stabilité des camps et du voisinage. Selon, Abou Tareq, il est nécessaire de faire face à tout conflit sectaire qui peut arriver à tout moment. La nature de cette relation a produit des résultats positifs au niveau de dé-escalade des conflits et de la fermeture des portes de nombreuses tentations de violence: «à première vue, il semble qu’il y ait de l’hypocrisie politique parmi nous, mais il n’y a pas de différence entre la bravoure et l’insouciance. Ils ont compris que nous sommes en coordination avec tout le monde», dit Abou Tarek. Même pour la rue la plus problématique juxtaposée au camp al-Ta’mir, l’UAA a géré les islamistes jihadistes dans cette rue en coordination avec Bahiya Hariri et le Hezbollah: «il y avait une tension à al-Ta’mir, Bahiya a demandé de nous voir, nous lui avons dit: «surtout ne pas faire bouger vos pions là-bas». Et nous avons dit au Hezbollah la même chose. Les Libanais dans cette rue sont plus nombreux et si chacun va mobiliser ses pions nous rentrerons dans un conflit armé avec l’armée libanaise. Chose que nous voulons éviter à tout prix» (Abou Tareq). La décision de UAA de sortir de la violence a été dans le bon chemin, ils sont déterminés à protéger le camp et épargner le sang palestinien, selon leurs dires. La même année, en 2008, Abou Tareq continu, «une délégation officielle est venue de l’ambassade, représentée par Edward Katoura et Mahmoud Issa al-Lino, discuter avec nous un plan pour faire face à Jund al-Sham». Toute cette volonté à combattre l’extrémisme violent dans le camp et à coopérer avec l’État libanais a fait de UAA un acteur islamique incontournable dans le camp:

«d’un petit groupe, nous sommes devenus un membre officiel des forces islamiques dans le camp, qui englobe, le Mouvement des Combattants Islamiques al-Haraka al-Islamiyya al-Moujahida, le parti de la libération Hizb al-Tahrir, le Hamas et le Mouvement du Jihad islamique. Ensuite dans nos rencontres officielles libanaises nous nous représentons comme un parti politique palestinien, nous sommes dans le comité politique palestinien et nous assistons à la réunion mensuelle à l’ambassade de Palestine, nous parlons au nom des Palestiniens. Donc quand on est leader on ne réagit pas comme si on est un simple membre, le leader a d’autres calculs stratégiques que les membres ne peuvent pas comprendre» (Abou Tareq).

41rxwsll4zl-_sx313_bo1204203200_Pour le reproche fait par les ex-combattants de UAA à l’encontre de la déradicalisation organisationnelle, idéologique et comportementale de UAA, Abou Tareq se défend en disant: «changer d’idéologie est une chose, mais changer la méthode s’en est une autre». Selon lui, leurs idées à UAA sont claires et certifiées par tous. En conséquence, ils ont défini la vision politique, «notre stratégie est la même, mais nous avons changé de méthode» pour éviter d’avoir un califat comme celui de Daesh. Cependant le but ultime reste «Établir un califat islamique sur le modèle du prophète dans l’un des pays islamiques en rassemblant l’Umma et faire le jihad pour Allah». Pour atteindre «cet objectif stratégique», UAA passe par: al-Da’wa, le prosélytisme, la lutte politique et le jihad: «lorsque nous avons décidé de changer de style, nous l’avons déclaré sur la tribune » déclare Abou Tareq. À le croire, le mouvement cherche à répondre aux questions existentielles et métaphysiques que pose chaque individu: «qui suis-je ?».

Au niveau des dynamiques internes et externes, UAA a moins recours à des attaques violentes, excepté quelques conflits internes auxquels il a participé ou susceptibles de participer avec le bloc islamiste pour défendre leurs quartiers. En somme au niveau comportemental, la violence armée du groupe est située et déterminée par la situation politique dans le camp, donc géopolitique. Leur «répertoire de tactiques violentes» (Dudouet et al. 2019) a diminué. Au niveau idéologique, les dirigeants du groupe n’offrent plus la justification idéologique à la violence et, ce depuis la disparition d’Abou Mohjin et le processus de déradicalisation, le discours adopté est plutôt défensif et protecteur du camp. Il semblerait qu’au niveau organisationnel, quand le groupe participe au conflit armé dans le camp, son stock militaire fait preuve de défense. Mais il est clair, selon les habitants du camp, que leur capacité organisée à mobiliser et à mener des activités violentes coordonnées diminue.

Ce papier a démontré comment UAA a fait son entrée dans la violence et sa sortie de la violence. Il a exploré le processus que UAA, en tant que groupe armé non étatique a suivi pour changer son utilisation de la violence contre les civils. Il a tenté d’étudier les solutions proposées à la sortie de la violence, afin de réduire le répertoire de violence. Cependant, cette sortie de la violence dans une déradicalisation substantielle, contextuelle et située, reste inachevée. Elle est certes le résultat d’une répression étatique intense et de différents types d’incitations sélectives.

Cette déradicalisation inachevée est due à plusieurs facteurs. Premièrement, elle a été déclenchée par une direction non solide et non charismatique, qui n’a pas eu suffisamment d’influence pour déradicaliser tous les militants qui composent l’organisation. Ce qui a provoqué des scissions, d’éclatement et d’émergence d’autres mouvements plus extrémistes. Deuxièmement, ces militants en processus de déradicalisation subissent des stigmates liés toujours à leurs expériences précédentes. D’une part, ils n’obtiennent pas une sérieuse alternative politique à la place de l’opportunité militaire qu’ils ont saisie. D’autre part, ils se trouvent en concurrence avec les acteurs politiques en place. Ces derniers essayent par tous les moyens de saboter ce processus, au lieu de répondre à leur recherche en leur offrant de nouveaux espaces de constructions d’identités politiques et citoyennes et une nouvelle appartenance.

Dialoghi Mediterranei, n. 49, maggio 2021
[*] Abstract
Questo contributo tenta di studiare i cambiamenti registrati nell’organizzazione della Lega dei sostenitori dell’Islam Usbat Al-Ansar Al-Islamiya (UAA) rispetto alla sua nascita e si interroga se il movimento si sia davvero de-radicalizzato. Sostengo che per favorire la de-radicalizzazione, l’organizzazione ha subìto un’intensa repressione da parte dello Stato libanese e gli sono stati offerti diversi tipi di incentivi selettivi, ma il processo di de-radicalizzazione è stato innescato da una leadership non solida né carismatica, che non ha avuto abbastanza influenza per de-radicalizzare tutti gli attivisti che componevano l’organizzazione, senza provocare una scissione. La scelta di questa organizzazione si basa sulla ambivalenza tra nazionalismo palestinese e salafismo globale, profondamente incarnato nella dottrina della SAU a trent’anni dalla sua nascita. Ho analizzato le diverse fasi di questa organizzazione che vanno dalla violenza alla non violenza. Comincio con la sua comparsa come piccola congregazione religiosa a metà degli anni ‘80, poi la sua evoluzione verso un movimento jihadista ben organizzato all’inizio degli anni ‘90. Tento di spiegare come questa evoluzione sia avvenuta con il passaggio alla violenza e alla volontà della UAA di affermarsi come autorità politica locale ancorata alla leadership palestinese in Libano e, infine, descrivo il processo di de-radicalizzazione sia in termini di preparazione delle esperienze di dialogo con le autorità libanesi che di formazione di gruppi dissidenti di jihadisti estremisti.
Note
[1] Je cite à titre d’exemple, le Front Islamique du Salut en Algérie, al-Gama’a al-Islamiya (le groupe islamique) en Égypte, le Groupe Islamique Armé en Algérie, le Groupe Salafiste pour la prédiction et le combat GSPC au Mali.
[2] Spontanément la description d’avant UAA est décrite lors des entretiens avec les adeptes ou les anciens militants du groupe comme ère pré-islamique. En effet, c’est l’arrivée de UAA qui assure le passage de la jahiliya à la lumière.
[3] Pour plus d’information à ce sujet, consultez Rougier 2004.
[4] Entretien ancien militant UAA, EEH, février 2019.
[5] Entretien, Fatah leader, EEH, décembre 2018.
[6] Discussion informelle avec un représentant du Fatah, EEH, Octobre 2019.
[7] L’étude de ce réseau permettrait ainsi de lire concrètement la façon dont certains centres de pouvoir à Téhéran ont cherché, en voulant « édifier la pieuse génération de la libération » à modifier les représentations du conflit israélo-arabe auprès des palestiniens des camps, en insistant sur la dimension religieuse du conflit et en mobilisant la population contre le processus de paix et la politique de l’Autorité Palestinienne.
[8] Jam’iyat al-Macharii al-Khayriya al-Islamiyya, l’Association des Projets de Charité Islamique. Le nom al-Ahbach est du fondateur Abdallah al-Harari qui vient de al-Habasha en Éthiopie. Il créa ce groupe à Beirut en 1983.
[9] Khaled Hamed, Ahmad al-Kassam et Mounir Abboud furent condamnés à mort et pendus dans la cour de la prison en mars 1997. Wassim Abdel Mo’ti et Rabih Nabaa furent condamnés à perpétuité.
[10] Le camp s’ouvrira à la même période aux militants islamistes de Tripoli, rescapé du massacre de Bab al-Tebbaneh le 21 et 22 décembre 1986. Ce massacre mené par deux milices tripolitaines parrainées par le régime syrien, le Parti Arabe Démocrate et la «Résistance tripolitaine», s’inscrit dans la division au sein de Harakat al-Tawhid al-Islami (Mouvement d’Unification Islamique) de Tripoli, sous la direction de Saïd Sha’ban qui a choisi de se ranger avec la Syrie (Kortam, 2017). Les militants s’opposant à cette alliance se sont retrouvés ou en prison, ou à l’étranger, d’autres ont réussi à trouver refuge à Saida. Alliés stratégiques du Fatah et résistants à l’hégémonie syrienne, Arafat leur a fourni un abri dans les camps palestiniens du Sud qui étaient toujours sous le contrôle de l’OLP.
[11] Entretien, EEH, Juillet 2019.
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Marie Kortam, docente di sociologia all’Università di Beirut, presso il dipartimento di Storia contemporanea, ha conseguito il dottorato di ricerca all’università di Parigi. Membro del Consiglio arabo per le scienze sociali, collabora a numerosi progetti di ricerca sulle relazioni civili-militari. Ta i suoi interessi scientifici: la violenza e i movimenti sociali, i processi di radicalizzazione politica e l’organizzazione dei gruppi islamisti. Tra le sue ultime pubblicazioni si segnalano: Fighting terrorism and radicalisation in Europe’s neighbourhood: Discours Sur la Violence (Univ. Europeenne, 2018); How to scale up EU efforts; Jeunes du Centre, Jeunes de la Peripherie (2018).

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